Il est certainement l’intellectuel camerounais le plus actif, l’un des penseurs contemporains africains les plus lus et commentés dans le monde. Sa pensée est centrée sur l’ouverture, sur le tout-monde, la déclosion et la levée des frontières. Il est l’auteur de plusieurs livres clés qui font école dans le monde entier et les lieux de savoir portant sur la question Nègre, la postcolonie et les études subalternes.
Il nous raconte ici, dans une publication sur son compte Facebook, comment il n’en peut plus des nombreux livres, documents et archives qui inondent son bureau. Avec l’aide d’un assistant, il a donc choisi de s’en débarrasser.
Dans ses fouilles, il va tomber sur cette photo qui va servir de conte. Et pour l’une des rares fois depuis plus de trois décennies, il nous parle d’une des raisons politiques de son exil loin du Cameroun et le début de son aventure comme passant dans le monde.
« …Cette photo qui m’avait été donnée par l’un de mes informateurs en pays bassa fin 1980.
De gauche à droite: Jacques Bitjoka, Martin Inack Ndjoky, Jean Nonga Yomb, Silas Mbong Bayem, Theodore Mayi Matip et Jean Nthep.
La photo est prise en 1959-1960. Um a été assassine. La Sanaga Maritime est saccagée et rentrera désormais dans un processus de marginalisation et de démembrement qui durera sous le règne d’Ahidjo et se poursuit aujourd’hui.
Un processus dit de ‘réconciliation’ est alors mis sur pied qui rassemble les frères ennemis d’hier. La figure de Um, bien qu’officiellement éradiquée, survivra dans la conscience et la mémoire.
Jeune étudiant de doctorat en 1983, je rassemble ses écrits et les publie aux Éditions L’Harmattan à Paris. Le livre est banni au Cameroun. Quelques semaines plus tard, je reçois une convocation du Service de Documentation (SEDOC) dirigé à l’époque par nul autre que Jean FOCHIVE de sinistre mémoire. Il me donne l’ordre de me présenter à ses bureaux.
Dans une lettre rédigée dans la foulée, j’accuse réception de son courrier. Je lui fais savoir qu’étant à Paris pour mes études, il ne m’est pas possible de répondre à sa convocation dans les délais exigés, mais que je ne tiens à sa disposition au cas où ses services prendraient à leur charge le coût de mon billet d’avion.
Aucune réponse ne s’ensuivit. Mais je savais que je venais, ce faisant, de signer mon exil loin du pays qui ne vit naître. »
Achille Mbembe