Dans le premier numéro du magazine Diartgonale, datant d’Avril 2007, le très inspiré Lionel Manga avait choisi de parler de « la nouvelle liberté » comme d’une icône « oubliée » ou encore « inachevée ». Une décennie après, son brillant texte reste d’actualité et nous avons bien voulu le partager avec vous. Jusqu’ici, plusieurs camerounais et habitants de Douala ignorent l’histoire de ce monument. Et Lionel Manga, comme vous allez le lire, regrette qu’une si belle œuvre soit née dans une ville qui n’est pas amie de l’art. Nous vous laissons le découvrir et surtout de le faire revivre auprès de vos proches.
Au fond de l’estuaire du Wouri, une dizaine d’années et plus se sont écoulées depuis que l’association doual’art et Joseph Francis Sumégné ont érigé au rondpoint de Deïdo la Nouvelle Liberté, dans un climat alors lourd d’une controverse artificielle et d’un ostracisme ethnique virulent. Le temps qui passe a estompé les rancoeurs et les douleurs des parties impliquées. Les passions se sont apaisées. La Nouvelle Liberté fait désormais et complètement partie du paysage de la capitale économique du Cameroun. Mieux: elle en est même une icône, voire L’ICÔNE par excellence, que maintes représentations s’approprient désormais comme un bien public.
Il n’est pas excessif de dire que cette réalisation monumentale plantée à proximité du pont sur le Wouri signifie Douala, aussi bien que la Tour Eiffel signifie Paris, elle aussi très malmenée à son érection: le « délire » vilipendé de son instigateur rapporte aujourd’hui de l’argent à la capitale française, puisque les touristes viennent de loin pour la voir de près … Sauf que la Nouvelle Liberté est restée en rade, elle est à ce jour inachevée, les promoteurs et l’artiste ayant dû battre précipitamment en retraite devant la crue d’incompréhension qui menaçait de les submerger. De ce polygone urbain grouillant, cette œuvre métaphorique qui parle de déchets et de recyclage est le centre radial.
L’achèvement de la petite esplanade qui fait office d’écrin à la Nouvelle Liberté y apporterait un supplément d’âme, en lui donnant une autre physionomie, avec des réverbères et des bancs. Une ville dépourvue de tels havres, de ces espaces de respiration, soit des lieux de pause, pour se poser, cette ville est en quelque sorte une violente imposture, une obscène tromperie sur la marchandise. Qui oserait la déboulonner, ou irait seulement imaginer aujourd’hui, en 2007, qu’on déboulonne la Nouvelle Liberté de son piédestal? Pas grand monde assurément. Et scandale en sens inverse assuré si.
Cela dit, au bruyant rond-point de Deïdo, la Nouvelle Liberté attend pour l’instant des contributions de mécènes attentifs au génie artistique du cru, afin que le chantier puisse être enfin parachevé pour de bon. Et vivement alors des concours d’art public concernant d’autres sites urbains remarquables! Le cachet d’une ville, petite comme grande, outre l’architecture et ses atouts naturels (climat et topographie), est un attracteur certain d’intérêt qui repose en particulier sur l’existence d’une panoplie d’œuvres d’art ponctuant son espace ça et là. Mais il y va également et en cela de mémoire: Douala en a une, encore verrouillée, tenue en laisse dans les coulisses de la société, qui attend en l’occurrence son heure et ses hérauts pour témoigner d’une ville qui recèle de l’Histoire.
Lionel MANGA