Par Jean Ferdinand TCHOUTOUO
Sous d’autres cieux, le 21 juin marque le début de l’été. Quand les Socialistes arrivent au pouvoir en France au début des années 80, c’est cette même date qu’ils retiennent comme jour de célébration de la fête de la musique. Au Cameroun, le 21 juin 2019 a été décrété jour de deuil national, en hommage aux éléments de notre armée tombés sur le champ de bataille à l’Extrême-Nord, victimes de la secte terroriste Boko Haram.
C’est toujours ce même jour que se donnait au Caire en Egypte le coup d’envoi de la 32e Coupe d’Afrique des nations, qui, originellement, devait se dérouler au pays de Samuel Eto’o. Pendant que nous avions une pensée pour nos vaillants soldats, nous devrions aussi réfléchir sur notre sort à nous, victimes d’un historique « glissement ».
Ce vendredi 21 juin était l’occasion, sans doute manquée, par les hauts commis de l’Etat camerounais -en réalité des puces, ou mieux des chauves-souris- qui ont géré avec fiasco le dossier de l’organisation de la CAN, de brandir à la face de la nation leur Mea culpa. Il aurait été question non pas d’une séance d’auto-flagellation, mais d’une rédemption. Le Cameroun n’a pas été prêt le jour dit. Dommage !
Le football et la musique entretiennent chez nous des relations très étroites, au-delà de leur popularité. Ils ont en commun d’avoir produit des talents de dimension mondiale. Il faut remonter en 1972 pour voir une chanson dédiée au football : l’hymne de la 8e CAN. La participation au Mundial espagnol, la victoire à la CAN en 1984, l’épopée italienne des Lions Indomptables ont été, à chaque fois, saluées par des chansons. Celles-ci sont très vite tombées dans les oubliettes car fruits de l’improvisation et de l’opportunisme. La perspective de retombées financières ayant pris le pas sur le travail artistique.
Un autre courant plus ou moins traditionnel tend à célébrer les prouesses et à encourager les équipes de football locales. Cette pratique est très présente dans la partie occidentale du pays. Panthère de Bangangté en est une illustration. DJ Gérard Ben, Jack Djeyim et autres bardes ont, à travers leurs chansons, encouragé cette équipe à accéder au gotha du football national.
La route catalane
D’autres chansons par contre sont dédiées à un seul joueur. Dans cette optique, deux exemples nous viennent à l’esprit. Eboa Lottin a chanté en l’honneur de Thomas Nkono. Ebloui par ses arrêts spectaculaires, l’artiste exalte le talent du gardien du Canon de Yaoundé, équipe de football amateur de la capitale. Nguéa Laroute a scandé Samuel Eto’o, sociétaire du FC Barcelone. Seulement l’on peut se demander pourquoi elle ne l’a pas célébré quand il séjournait sur l’île de Majorque. Le goléador est d’une largesse légendaire…
En somme, football et musique entretiennent des relations de similitude avérées. Ils ont en commun la faculté de mettre à rude épreuve nos institutions judiciaires. Pendant que le football expose les manquements suspects de la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage du CNOSC, la musique quant à elle s’attèle à supprimer la suprématie de la Cour suprême. Il leur arrive de faire chemin ensemble autour d’un même projet politique. Cf. MRC : campagne électorale pour l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Compte tenu de cet idéal commun, ils peuvent se permettre d’échanger réciproquement de ministre. Cf. Paul Biya : remaniement ministériel du 4 janvier 2019. Ne soutient-on pas dans notre équatoriale forêt que seuls les arbres de même taille se passent les singes.
La Faucheuse pour l’au-delà
Le 8 juin dernier, la terre du cimetière Njo Njo à Douala se refermait sur la dépouille d’Axel Mouna. La scène a eu lieu au cours d’une cérémonie populaire certes, mais marquée par la présence timide de ses confrères. Les pouvoirs publics, eux, n’ont pas daigné effectuer le déplacement. Axel méritait mieux. Qu’elle est loin l’année 1988 où l’on voyait le ministre Henri Bandolo dans un taudis d’un quartier populaire s’incliner devant la dépouille d’une artiste, après l’avoir décorée, à titre posthume !
Si notre panthéon musical existait, la chanson Juventus aurait servi de sésame à Axel Mouna.
Contrairement au titre Jéméa (un autre morceau d’Axel Mouna dédié au football), Juventus n’obéit à aucun des cas de figure évoqués plus haut. C’est peut-être là l’origine de son charme et de son succès. L’artiste y exprime son dépit devant le destin tragique de la condition humaine. Ce ministre de la Culture du Général De Gaulle a trouvé la bonne formule : « L’art est antidestin ». Au-delà de l’émotion et du lyrisme, Juventus a le mérite d’immortaliser l’existence éphémère de cette équipe de football éponyme.
Juventus FC de Douala était un projet, révolutionnaire à l’époque. Une autre façon de concevoir le football tout simplement. Et les fruits commençaient à tenir la promesse des fleurs. Malheureusement le pharmacien-mécène et le footeux qui étaient à l’origine et à la conduite du projet sont victimes d’un accident de la circulation. Nos deux compères ne survécurent point à ce cataclysme. Nous sommes en 1978, à l’entrée du port de Douala. La tragédie a un retentissement national. Les promesses s’envolèrent et les espoirs s’évanouirent.
En ce 21 juin de deuil national au Cameroun, nous devrions écraser des larmes sur nos joues en souvenir de la disparition de nos héros, de nos idéaux et de nos actes manqués. Ainsi en nous trémoussant sur la piste au son de Juventus, nous devrions dire Bye Bye à
Axel Bye Bye !!!