Quand le Cameroun broie et tue ses enfants à petit feu.
Ils sont nombreux ces camerounais qui sont sacrifié leur vie dans leur combat pour la libération du Cameroun. Dans cette longue marche vers la liberté, beaucoup de combattants connus et anonymes sont tombés. Certains ont même perdu la tête.
Ils sont nombreux ces camerounais qui à cause de leur engagement politique n’ont plus vu la terre de leurs ancêtres depuis des décennies. Certains ont même perdu leurs parents et n’ont pas pu rentrer les enterrer dignement. Quelle douleur ! Parce que l’oubli est la ruse du diable, n’oublions pas ces combattants et leurs sacrifices ; même si nous n’avons pas toujours été d’accord avec leurs procédés.
Nous ne sommes pas tous d’accord sur la méthode à adopter mais nous sommes au moins tous d’accord sur un fait. Ce régime qui nous maintient captif depuis près de 40 ans a échoué et doit libérer le plancher. Je me permets d’honorer un combattant pour la liberté qui est mort dans le strict anonymat et dont la mémoire tend à être oublié même de ceux auprès de qui il a combattu.
Bertrand était un écrivain, artiste peintre, militant des droits de l’homme Camerounais qui a vu sa vie devenir au cauchemar le jour où il a décidé de s’attaquer au régime qui maintient les camerounais captifs depuis bientôt 40 ans.
Il avait fait une fixation sur Paul Biya ; pour lui, le principal problème du Cameroun c’était Paul Biya.
Alors que paraît le livre « le code Biya » du journaliste français François Mattei sur la vie du Président Paul Biya, Bertrand Teyou décide d’écrire en 2009 le livre « L’Antécode Biya » dans lequel il peint Paul Biya sous des traits très sombres.
En 2010, il publie au Cameroun un ouvrage virulent « La Belle de la république bananière : Chantal Biya, de la rue au palais ». Dans cet ouvrage, il dit critiquer les fastes de la vie du couple présidentiel. C’est le début de ses malheurs. Il est arrêté le 3 novembre 2010 à Douala le jour de la cérémonie de dédicace de ce livre et est condamné à deux ans de prison et à payer une amande de deux millions de franc CFA pour outrage à personnalité, insulte à caractère et organisation d’une manifestation illégale. Son livre est interdit et toutes ses publications sont détruites.
Incarcéré, il est considéré comme un prisonnier d’opinion et est défendu par plusieurs grandes associations internationales (Amnesty International, PEN club, la chaire de littérature africaine de l’Université de Bayreuth en Allemagne). Il est libéré 6 mois plus tard en avril 2011 grâce aux pressions internationales, ses soutiens paieront son amande. Mais l’homme est fragilisé surtout qu’il avait entamé une lourde grève de la faim en prison. En 2012, il publie le livre « L’archipel des pingouins » sur les conditions de détention de la prison centrale de New Bell de Douala.
Bertrand Teyou a remporté le Hellman-Hammett de Human Rights Watch price 2010, prix international d’une valeur de $ 5000. Cette récompense lui est offerte en hommage aux tourments qu’il a connus suite à la publication de son livre « La Belle de la république bannière : Chantal Biya, de la rue au Palais ». En 2012, il a déposé une plainte contre Paul Biya à la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’avoir jeté en prison et confisqué ses livres.
En effet durant la période de ses démêlées avec le régime, son domicile est incendié et il perd sa fille de 7 ans ; calcinée à l’intérieur de sa maison. Meurtri, Bertrand Teyou choisit le chemin de l’exil.
D’abord exilé à Genève en Suisse, il obtient en mai 2013 un titre de séjour en France de 10 ans comme réfugié politique. Il attendait peut-être beaucoup trop de la France et va déchanter.
Il voulait monter sa propre maison d’édition en France, estimant qu’il n’avait pas suffisamment accès aux éditeurs nationaux. Et il jugeait l’aide qu’on lui proposait insuffisante. Il se rend finalement compte que « le seul ennemi de l’Afrique est la France néocoloniale » [écrivait-il en 2014 dans un courrier adressé ministre de l’intérieur français]
En réalité, les épreuves vécues ont fabriqué un « jusqu’auboutiste ». Le 26 juin 2015, il incendie l’intérieur de l’Hôtel de ville de Besançon (après évacuation préalable des occupants) avec un cocktail Molotov. Mis en détention et encourant une peine de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros, il menace de récidives graves par d’autres actes plus retentissants en cas de sortie, et demande à être jugé par le tribunal pénal international.
Nous avons ici les réactions d’un homme déboussolé, un homme broyé qui a vécu le pire dans son pays, a connu la torture et la prison, a perdu sa fille de 7 ans calciné, ne peut plus voir ses proches, ne peut plus rentrer chez lui, n’arrive pas à monter ses projets en France où il subit le racisme. La mort de sa fille à la suite de l’incendie de son domicile l’a beaucoup hanté ; les psychologues nous diront que c’est peut-être pour cette raison qu’il a choisi d’incendier l’hôtel de ville de Besançon pour exprimer son courroux. Frustré par la situation qu’il vit en France, il se rend compte peu à peu du rôle nocif de la France sur le devenir des pays africains notamment à travers son soutien aux dictateurs. Il vit mal le traitement infligé aux immigrés, il vit mal le racisme.
En prison, il découvre que la majorité de la population carcérale est essentiellement africaine. Le 12 février 2019, après 45 mois de lutte inlassable derrière les barreaux, la justice française le libère. A sa sortie de prison, il dit avoir découvert la « férocité blanche » qui décime l’Afrique. Il lui apparaît alors beaucoup plus urgent de rentrer au Cameroun pour témoigner de l’incroyable calvaire que vivent les Africains en France.
Malgré sa carte de résident et les allocations mensuelles qui lui sont versés, il décide de rentrer au Cameroun sachant bien ce qu’il peut encourir une fois sur place du fait de ses engagements passés. Il promet un livre sur la férocité blanche qui opprime l’Afrique : « Le peuple noir et I‘anti-mâIe blanc »
L’activiste et écrivain polémiste Bertrand Teyou est décédé le 22 janvier 2020 à Douala des suites d’une courte maladie à l’hôpital de la garnison militaire de Douala. A-t-il été pris en charge à son arrivée à l’hôpital ? la rapidité et le caractère subite de son décès questionne. Il avait à peine de 50 ans.
Son décès est passé inaperçu. On ne sait même pas où il a été inhumé. Triste fin !
Arol KETCH – 25.08.2020