Ce compte rendu du philosophe Njoh Mouelle est extrait de son site www.njohmouelle.org . On sait qu’il est une personnalité traditionnelle très importante chez les sawas. Il a été député de la nation dans sa localité. Il est actuellement le Président du conseil scientifique du Centre de recherche et de formation doctorale pour les arts, les langues et la culture à l’université de Yaoundé-1. Et éventuellement membre du conseil exécutif de l’Unesco.
Je l’ai signalé dans mon compte-rendu de l’année dernière : les populations venues vivre les divers moments qui ponctuent le déroulement de cette fête repartent insatisfaites pour n’avoir plus à vivre en direct ni le plongeon, ni le retour à la pirogue sacrée du plongeur, initié mystique qui va chercher le message des ancêtres dans les profondeurs du fleuve. Ne l’ayant pas vu sauter, on ne l’a pas non plus vu remonter dans la pirogue.
Oublions, ou plutôt laissons de côté, la légende qui disait qu’il remontait tout sec du fleuve ! Cela ne se vérifiait plus depuis fort longtemps. Les populations concernées tout comme les touristes venus, appareils photos, portables et cameras en mains, n’auront pas vu non plus la pirogue sacrée revenir vers le rivage sur un rythme approprié des coups de pagaie des miengus : la marée basse a fait émerger le fond boueux de ce qui n’est pas une plage à cet endroit, ce qui ne pouvait pas permettre un accostage en bonne et due forme.
Autre chose que les spectateurs n’auront pas vu : l’arrivée de la course des pirogues. Telles que sont disposées les tribunes derrière lesquelles sont amassées les populations, aucune vue sur le plan d’eau, côté port, ne leur est offerte, tout le monde étant installé côté Deido. Personne ne peut plus vivre une arrivée palpitante de la course, montrant des pirogues côte à côte ou les unes lancées à la poursuite des autres et tentant de dépasser ou évitant d’être dépassées. L’ordre d’arrivée a même été plutôt brouillé cette fois-ci par les rares images que les écrans géants de la télévision montraient.
C’est ainsi qu’à un moment donné on a pu penser que c’était la pirogue Deido qui était arrivée la première alors que c’était plutôt la pirogue des Bassas qui a été proclamée vainqueur ! Quel désordre ! Et quand, au moment de remettre les prix et les trophées aux gagnants, les micros appellent plusieurs fois les capitaines des trois premières pirogues, ils ne peuvent pas se présenter rapidement à l’appel, ayant eu à patauger dans la boue de la marée basse, les pirogues n’ayant pas pu atteindre le rivage pour les laisser descendre sur la terre ferme.
La finale de la lutte traditionnelle qui a opposé le champion Deido au champion Akwa a connu un franc succès populaire. Le vainqueur Deido ayant usé de beaucoup plus d’intelligence, un peu comme ça se passe au judo, pour retourner en sa faveur une situation qui était sur le point d’être perdue au profit du champion des Akwas qui a trop misé sur la force physique.
Qu’est-ce d’autre qu’on n’a pas bien regardé comme spectacle ? C’est le défilé de la fin. Défilé des gagnants des trophées : la Miss Ngondo et ses dauphines, les finalistes de la lutte traditionnelle, et surtout les groupes de danses souvent bien habillés et exécutant des rythmes entrainants et séduisants. Le départ avant tout le monde de la tribune des autorités administratives soulève un désordre préjudiciable à la bonne conclusion des cérémonies, les chefs traditionnels, et surtout le bureau du Ngondo étant surclassés par l’équipe du gouverneur de la province. Il va falloir redonner sa place prépondérante à la tradition.
Il devient ainsi plus qu’urgent, pour toutes ces raisons rapidement évoquées, de repenser complètement cette affaire en deux directions : 1-Trouver un autre espace, quitte à l’aménager bien en amont de Deido, vers Bonangang Akwa Nord ; 2- Séparer la dimension rituelle et mystique de la dimension populaire et carnavalesque. La première dimension s’organiserait non plus à 11h comme cela se passe depuis 1992 mais à 5h du matin, comme cela se passait dans la vraie tradition. Elle concernerait la chefferie traditionnelle, les notables et les « mianja » (les élites plus ou moins initiés).
La dimension populaire suivrait, dans les horaires d’aujourd’hui, à partir de 9heures du matin et consisterait en une sorte de défilé des groupes de danse , non plus dans un espace fermé mais à la place des défilés officiels habituels et devant des tribunes qui offriraient la possibilité à tous leurs occupants, de vivre les spectacles défilant sous leurs yeux, à la manière du carnaval de Rio de Janeiro, pourquoi pas ? Ce serait le Carnaval de Douala qui pourrait s’ouvrir à une dimension nationale en intégrant des groupes de danses venus d’autres régions culturelles du Cameroun.